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Codir dans la crise !

Depuis mars 2020, la majorité des Comex et des Codir se sont transformés en cellules de crise. Rares étaient ceux qui avaient anticipé une telle crise sanitaire aux effets systémiques et aux conséquences si profondes.

Les instances dirigeantes ont été confrontées à la vulnérabilité de leurs organisations, de leurs marchés et de leurs activités. Cela a été d’autant plus difficile à appréhender et à gérer que tous leurs membres ont été soumis à leur propre vulnérabilité, à celle de leurs proches, de leurs équipes et de l’ensemble des personnes qui les entourent.

La pression a été et reste très forte, mettant à rude épreuve la solidité des individus comme des collectifs, générant partout des mécanismes de défense ou des attitudes de “faire face” : déni, intellectualisation, hyper-contrôle, hyperactivité, repli en silos, recherche de bouc émissaire ou de solution magique, et aussi créativité, solidarité, engagement altruiste et dépassement de soi. La crise est un révélateur de la force mentale, de la maturité, bref de la personnalité de l’instance dirigeante.

« Vulnérable » signifie « pouvoir être blessé au risque de ne plus pouvoir agir ». Or, qu’est-ce qu’agir pour une instance dirigeante ?

Il convient de revenir aux rôles d’une instance dirigeante, et de voir comment ces rôles ont pu être impactés, pour ensuite mesurer le besoin d’ajustement des postures individuelles et de la dynamique collective.

La première raison d’être d’une instance dirigeante est d’aider le leader de l’organisation à remplir son propre rôle. Elle joue donc d’abord un rôle d’information auprès du leader, d’analyse, d’apports d’idées et de conseils, d’aide à la décision, puis de déploiement, de courroie de transmission des orientations choisies, enfin de suivi d’avancement des opérations. En temps normal déjà, la complexité des situations vécues et l’accélération des temps de l’organisation, font courir le risque d’un manque de lucidité, de pertinence de l’analyse et de difficulté à décider de façon juste. On sait donc à quel point le collectif que constitue le Comex ou le Codir est précieux pour le leader. Sous réserve qu’il sache et puisse créer et animer l’intelligence collective…

Pour aller plus loin, considérons 5 grands rôles de toute instance dirigeante :

·        Préparer l’avenir, c’est-à-dire anticiper les tendances, les mutations en cours, formuler des futurs possibles, fixer les ambitions, conduire les transformations

·        S’assurer que les opérations et les activités délivrent, ce qui veut dire impulser, organiser, animer, contrôler

·        Assumer « le rôle symbolique » : l’instance est la représentation de l’autorité, une surface de projection, qui donne du sens et du cadre et qui est garante de l’identité collective

·        Jouer l’interface avec le Conseil d’Administration, les instances supérieures, les collaborateurs, les stakeholders, la Cité, etc.

·        Enfin, soutenir chacun de ses membres dans ses propres rôles : l’instance peut être un lieu de co-développement, de conseil, de protection comme de stimulation ou de recadrage.

Ces cinq rôles ont été bousculés. De quelles façons ?

L’avant-crise était caractérisée par une tension entre le court-terme qui imposait de livrer au maximum tout de suite tout le temps, et le long terme, considéré comme le temps de l’incertitude, qui imposait de son côté l’adaptabilité, la flexibilité, l’attention aux signaux faibles. Avec la crise de la COVID, l’incertitude s’est installée dans le présent. Nous sommes confrontés à un tourbillon de l’incertain. Peut-on encore « préparer l’avenir » ? et comment gérer le présent s’il est lui-même devenu illisible ?

La première priorité est de se préserver de l’effroi : « Le risque incertain est celui qui fait le plus peur » disait l’historienne Françoise HILDESCHEIMER. La situation de crise peut en effet être paralysante, générer un stress important qui altère la lucidité des dirigeants, leur capacité à analyser, à décider, bref, à remplir leur rôle. Elle peut provoquer des tensions au sein de l’équipe dirigeante qui l’éloignent de l’intelligence collective, en renforçant les effets de défiance, de jeux de pouvoir ou de replis. Le premier travail à faire au niveau du CODIR porte sur la qualité du lien, et donc sur le renforcement de la sécurité psychologique.

La crise nous impose de nous adapter à ce qui n’était pas prévu. Or, nous sommes enclins à répéter ce que nous connaissons. Le risque est alors que nos certitudes d’aujourd’hui génèrent nos erreurs demain. Il est plus que jamais nécessaire de s’ouvrir à ce que nous ne savons pas. Et pour cela, peut-être faut-il au niveau du CODIR commencer par identifier ces certitudes ou ces croyances qui nous limitent dans notre « pouvoir d’agir ».

« Dans un monde devenu instable, voire chaotique, on ne peut plus faire de prévisions à long terme. L’important est de sentir les potentiels, les émergences et les tendances, tous ces bouillonnements à peine perceptibles » dit Hesna CAILLIAU dans Les Bâtisseurs du Futur. Le conseil prend toute sa force aujourd’hui : au CODIR de développer une « lucidité collective », une « intuition collective », sources de la nouvelle intelligence collective indispensable pour affronter la situation inédite d’aujourd’hui. Cela passe par des temps dédiés au partage des signaux faibles, ainsi qu’à des temps « méta » où le collectif tout entier cultive le « presencing » prescrit par Otto SCHARMER dans la théorie U.

Le présent est devenu difficile à lire, principalement du fait de l’émergence de l’incertain, mais pas seulement. La volonté légitime des entreprises de préserver ou de retrouver rapidement leur niveau de performance les a souvent amenées à encore augmenter leur niveau d’exigence vis-à-vis des équipes opérationnelles et fonctionnelles tout en limitant les ressources. Exprimée en parallèle des mesures de soutien et de protection des collaborateurs, cette exigence est souvent vécue comme une injonction paradoxale, source de confusion et de stress. Deux postures managériales sont ici indispensables : la transparence de la communication, fondée sur la confiance et la responsabilité, d’une part ; la vision inclusive, c’est-à-dire l’implication des collaborateurs dans l’analyse des situations, la définition des feuilles de route et le pilotage, d’autre part. Cela signifie ouvrir les instances dirigeantes et favoriser la co-construction.

Les semaines qui viennent de s’écouler ont vu la multiplication et le changement permanent des règles sanitaires et des décisions d’adaptation au niveau des entreprises. Tout cela est loin d’être terminé, et renforce le sentiment d’instabilité. Les équipes ont besoin de retrouver de la stabilité. Dans son rôle d’autorité symbolique, c’est au Codir de l’apporter, avec trois orientations :

  1. En donnant du sens, c’est-à-dire de la lisibilité sur les situations vécues et leurs conséquences, et de la perspective, par l’affirmation d’une raison d’être renouvelée ;

  2. En ayant une lecture et une communication appréciative, sans complaisance mais reconnaissante des opportunités offertes, des initiatives vertueuses et des succès ;

  3. En mettant en avant de façon modélisante son fonctionnement solidaire, ancré et porteur de sens.

Une autorité solide est ce que Marc-Aurèle aurait pu nommer la « citadelle intérieure » vers laquelle l’organisation peut se tourner. Et par ailleurs, seule la solidité est garante d’une agilité efficace : au Codir de travailler son ancrage, sa qualité de présence, un fonctionnement mature et modélisant.

En synthèse :

Cinq rôles toujours essentiels

  1. Préparer l’avenir

  2. Garantir la performance opérationnelle

  3. Assumer le « rôle d’autorité symbolique »

  4. Gérer les interfaces avec stakeholders

  5. Soutenir chacun dans son rôle

 Une complexité exacerbée

  • Des dirigeants confrontés à la vulnérabilité

  • Une incertitude accrue et qui se rapproche

  • Les certitudes d’hier sont inopérantes

  • Ambivalence exigence de résultat / protection des équipe

  • Instabilité du fait de la multiplication des règles

 Des pistes possibles

  • Renforcer la sécurité psychologique dans le Codir

  • Identifier les croyances limitantes du Codir

  • Travailler le « presencing » au sein du Codir

  • Développer la vision inclusive et la transparence de la communication

  • Donner de la lisibilité et du sens

  • Garder un regard appréciatif, sincère

  • Rendre le Codir modélisant, « citadelle intérieure » de l’organisation

Fanchic BabronComment