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Observer son équipe en fonctionnement

Il est intéressant pour un Dirigeant, comme pour un manager, ou un responsable d’équipe projet, de prendre le temps d’observer son équipe en réunion. Cela signifie sortir de son rôle habituel de participant et de se décentrer en se positionnant en méta (à côté de, plus loin). Cette attitude permet de gagner en objectivité dans le recueil et l’analyse des informations en provenance de l’équipe : les contenus des échanges, mais aussi leur forme, les interactions entre les membres de l’équipe, les comportements individuels et collectifs. Ainsi, le dirigeant (ou le manager de l’équipe) est en mesure de renvoyer des feedbacks aux membres du groupe, à la fin des séances de travail.

La démarche n’est pas si simple et il convient d’être conscient de ses limites et de ses conséquences.

Dans ce rôle d’observateur, le dirigeant n’est jamais aussi objectif qu’il le souhaiterait. Il est influencé par ses propres représentations, ses projections. Il vit lui-même les émotions qui traversent le groupe.

Sa position d’observateur (donc sans participation directe aux échanges) fait l’objet de nombreuses interprétations de la part des membres de l’équipe. Il devient une surface de projections (autre que celle qu’il était déjà en tant que participant « actif ») : on lui prête des intentions, des messages non dits. Chacun de ses gestes ou changements d’attitude prend une signification pour les membres du groupe.

Il est aussi soumis à la communication indirecte de ses collaborateurs qui s’adressent à lui, de façon plus ou moins implicite, au travers des échanges et des attitudes adoptées. Il reste donc, bien que silencieux et observateur, acteur de la communication au sein du groupe.

Plus délicat, cette prise de distance du dirigeant peut parfois être interprétée comme une mise à l’écart volontaire, un désinvestissement  vis-à-vis du groupe : il est important, pour éviter cela, de ne pas s’éloigner physiquement du groupe et de conserver sa place habituelle.

Une autre difficulté pour le dirigeant est la tentation d’intervenir dans les échanges, de ne pas conserver sa position neutre d’observateur. Enfin, un autre risque est de se laisser emporter par ses propres réflexions autour des sujets évoqués par le groupe et de sortir de fait de l’écoute attentive du groupe (les exercices de pleine conscience sont utiles pour cela…).

Ma recommandation est double :

1. Choisir entre deux positions :

·       Soit le dirigeant énonce clairement au début d’une séance de travail qu’il restera en position d’écoute et d’observation et qu’il fera en fin de séance un feedback sur la façon dont il a perçu le fonctionnement du groupe. Ce « contrat initial » permet de poser un cadre contenant-sécurisant pour le groupe. Il aura forcément un impact sur les attitudes individuelles et collectives et donc le dirigeant doit être conscient qu’il observera une séance singulière par rapport aux séances habituelles.

·       Soit le dirigeant n’énonce pas son intention. Dans ce cas, le temps d’observation doit être court. La position d’écoute et de non observation ne doit pas être incongrue (par exemple lors d’un échange sur un sujet essentiel pour lequel son avis prime). Vous me direz que ce scénario est banal, très courant : il arrive souvent qu’un dirigeant  écoute ses collaborateurs lors d’un CoDir ! Je ne parle pas ici tout à fait de la même chose : se mettre en position méta signifie réellement se décentrer, non pas se concentrer seulement sur les contenus mais sur leur signification, sur la façon dont les choses sont exprimées, sur les comportements, sur les signaux faibles envoyés par tel ou tel. Cette position méta signifie aussi être à l’écoute de ses propres perceptions, de l’effet de groupe sur soi-même.

2. Rendre cet exercice naturel pour chacun des membres du groupe :

 

L’idée est d’expliquer aux membres de l’équipe l’intérêt de cette position d’observateur et des feedbacks qu’elle permet, le levier de développement de l’efficience collective qu’elle constitue. Le dirigeant peut ainsi proposer à chacun des membres de l’équipe de jouer ce rôle, chacun à son tour, lui-même prenant sa place, soit en démarrage de cycle pour modéliser la posture, soit en fin pour compléter les regards ainsi croisés.

L’exercice est vertueux, il a fait ses preuves au sein de nombreux CoDirs où l’intelligence collective est érigée en principe clé.

Voici quelques questions qui peuvent être posées à celui qui joue ce rôle d’observateur :

  • Qu’est-ce qui est dit ? quels sont les sujets évoqués par les membres du groupe ? quels sont les sujets sous jacents qui ne sont pas directement évoqués mais apparaissent en creux, de façon implicite ? qu’est-ce qui n’est pas dit et pourtant est présent ?

  • Parle-t-on de sujets individuels, de sujets qui concernent l’équipe toute entière, ou seulement certains de ses membres, ou plus généralement toute l’entreprise ?

  • Parle-t-on des sujets qui avaient été choisis initialement ? ou bien s’agit-il de sujets émergents, du moment, ou encore de sujets d’évitement (pour éviter les vrais sujets, plus délicats à aborder) ?

  • Exprime-t-on les choses de façon factuelle, ou bien sous forme d’opinions, de convictions, d’impressions, de sentiments ?

  • Quelles sont les attitudes adoptées par les uns et les autres, dans la façon de prendre la parole, d’écouter, de rebondir, de confronter ? qui facilite les échanges, régule, entretient la cohésion, permet au groupe d’avancer ? qui joue la solidarité ?

  • Y a-t-il des alliances, des clivages, des attitudes de retrait, des postures défensives, ou, à l’inverse, agressives ?

  • Quelle est l’énergie du groupe : haute ou basse ? à quelles occasions ? quelles en sont a priori les causes, et les conséquences ?

  • Que ressentez-vous lorsque vous observez ce groupe, que vous l’écoutez vraiment ?

  • Les positions géographiques des uns et des autres ont-elles un sens ? ont-elles des conséquences sur les postures adoptées ? l’espace est-il bien organisé, suffisamment confortable, au service de l’efficacité du groupe ?

  • Observez-vous des ruptures, dans les rythmes, les attitudes, les expressions ? à quoi peuvent-elles être liées, que disent-elles ?

  • A quoi vous fait penser le groupe dans son fonctionnement ? quelles images y associez-vous ? que vous dit votre intuition sur les points forts et les pistes de développement possibles ?

Cette liste est loin d’être exhaustive, mais constitue déjà un bon support de travail.

Quelque soit le schéma adopté, il faut rester conscient du caractère subjectif de l’observation : celle-ci est orientée, filtrée, en fonction de ses propres représentations, de ses propres projections, de ses capacités réelles d’écoute. Mais l’exercice reste vertueux, et permet d’enrichir le regard. Il est un puissant levier de management et d’amélioration de la dynamique collective.

Fanchic BabronComment